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Mahler : Le Chant de la Terre

  • Compositeur : Gustav Mahler 
  • Chef d'Orchestre : Bruno Walter
  • Orchestre : Orchestre Philharmonique de Vienne
  • Contralto : Kathleen Ferrier
  • Ténor : Julius Patzaks

 

Ce disque célèbre, vieux de 60 ans maintenant, domine toujours la discographie. Il n'a donc pas besoin d'être défendu. Pour aller un peu au-delà de la constatation d'un miracle interprétatif, né de la rencontre de Bruno Walter, de Kathleen Ferrier (qui avaient déjà travaillé ensemble) et de Julius Patzak.

On connaît 8 ou 9 versions de Bruno Walter, la première du 24 mai 1936 avec Kerstin Thorborg et Charles Kullmann , en concert, déjà avec les Wiener Philharmoniker, puis Kathleen Ferrier et Peter Pears en 1947 (peu connue), Kathleen Ferrier et Set Svanholm avec le New York Philharmonic en 1948, puis celle-ci en studio entre le 15 et le 20 mai 1952, contemporaine d'une autre en concert avec les mêmes interprètes le 17 ou 18 du même mois, publiée par Tahra (une autre pourrait se confondre avec la version en studio), ensuite à New York et en 1953 avec Elena Nikolaidi et Set Svanholm et l'avant-dernière en avril 1960 avec Maureen Forrester et Richard Lewis (mêmes solistes que pour le disque de Reiner de novembre 1959), deux jours avant l'interprétation en studio déjà citée.

Cet enregistrement est donc assez ancien, en mono naturellement, mais il a quelque chose d'homogène et d'équilibré. Bruno Walter ne met pas spécialement en valeur la crudité et la modernité de la partition; sa magnifique souplesse, qui n'est pas le plus souvent usage rhétorique du rubato, mais qui contribue à rendre en permanence vivant le discours de l'orchestre, enchante plus par la douceur et le charme que par une constante véhémence; le tragique intervient directement par moments, et il s'approfondit de l'évocation nostalgique du bonheur de vivre, il est présent ailleurs dans la discrétion. Les solistes, Patzak en particulier, sont chargés des aspects les plus grinçants, "modernes", de l'œuvre, car bien davantage que d'autres interprètes, Walter fait de la musique avec des partenaires, au lieu de les diriger. Le caractère sonore, fluide, prenant mais modéré, de cette version est néanmoins le résultats de ses choix, que l'aspect civilisé et traditionnel des Wiener Philharmoniker, l'amortissement des stridences par l'âge de l'enregistrement ne peuvent que confirmer. A l'époque, les tempi de Bruno Walter étaient encore rapides, mais sa tendance au legato fait qu'ils n'ont rien d'excessif et ils donnent même une prestesse gracieuse, tout à fait bienvenue, à certains passages comme Von der Jugend. La fluidité contribue à donner son exact caractère à Von der Schönheit : l'évocation de la beauté, le désir inassouvi, le sentiment de l'instant périssable, la Sehnsucht; elle donne à Das Trinklied vom Jammer der Erde l'impression physique de la vie qui fuit.

Patzak n'a évidemment pas les moyens vocaux de Wunderlich, surtout en 1952 (il était né en 1898), on peut s'imaginer qu'il ne peut pas le faire, mais il le fait, et de façon encore plus personnelle et inoubliable que Wunderlich. Son timbre si particulier, son intelligence évidente, audible, apportent à Das Trinklied toute la douleur, l'amertume et la corruption de la vie terrestre, personne n'est peut-être allé aussi loin dans l'expression, toujours contrôlée et qui ne donne jamais l'impression d'effort, de difficultés vocales. Patzak, dont un des autres caractères dominants est le charme, donne toute l'élégance possible à Von der Jugend, mais il peut aussi incarner l'ivrogne du 5e mouvement mieux que n'importe qui.

Quand la voix de Kathleen Ferrier arrive, elle saisit, elle emporte. Cette voix est éloquence et expression en elle-même, si bien qu'on a beaucoup de peine à distinguer ce qui provient de la beauté, de la chaleur purement vocales, et ce qui est dû à l'interprétation consciente et volontaire : une attention soutenue permet de comprendre ses choix expressifs, ses nuances, ses inflexions et aussi cet art de ne jamais traiter la phrase comme une unité fermée, mais de l'ouvrir vers ce qui suit, même si elle se tait pour laisser place à l'orchestre seul; pour le dernier point, la fluidité de la direction de Walter a pu l'y aider. Le chef et la cantatrice, attentifs l'un à l'autre, respirant pour ainsi dire ensemble, contribuent à nous donner le sentiment d'une rencontre unique dans la discographie du Chant de la Terre. L'art de Kathleen Ferrier a, au moins en apparence, le caractère de la spontanéité, du naturel, de l'accord avec une respiration jamais forcée. Le vibrato aide évidemment à l'ampleur de la voix, mais il n'explique pas son caractère propre. Plus encore qu'ailleurs, l'aspect endeuillé de l'Abschied la rend unique. Cette voix chaleureuse et comme maternelle exhale sa douleur et berce la nôtre.

 

Note Technique : 10/20
Bel enregistrement monophonique - préférer les éditions vinyles aux repiquages CD. Sinon en CD, oublier l'édition officielle de Decca et acquérir la réédition Naxos.
Référence :  Decca
Année :  Vienne - 1952
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